lundi 29 avril 2013

séance du 23 avril 2013: du phare du Faraman aux Alpilles...



Jeanne commence la séance : je suis née au phare de Faraman en Camargue le 12 novembre 1924. J’y ai grandi jusqu’à l’âge de six ans. Puis j’ai quitté le phare pour aller à l‘école, mais je revenais pour les vacances. J’étais en pension à Port Saint Louis du Rhône. A l’époque on traversait le Rhône à Salin de Giraud, mais il n’y avait pas de bac. C’était un bateau. Un canot. On mettait les bicyclettes sur le canot. On passait le Rhône et l’on se rendait à Port Saint Louis. Il y avait au Faraman juste deux couples de gardiens du phare. Mon père était gardien du phare. Mon meilleur temps ce n’est pas l’école. Je n’aimais pas l’école parce que je quittais mes parents. Mon meilleur souvenir ça a été le phare. J’ai passé une enfance que beaucoup n’ont pas eu. Libre. Libre. Une enfance libre. Avec beaucoup de bêtises.



Marthe
: Je suis née à Trinquetaille, le jour de la Grande Goyesque. Le 12 juin 1932. C’était le jour où il y avait les grands tapis dans les arènes, vous savez. J’ai toujours habité Trinquetaille. Pour l’école, j’ai fait les universités de Camargue. Au Salin, à Méjanes, Port Saint Louis. Toutes les universités de Camargue ! (rires) C’était l’école de la vie. Mon surnom c’était « la Goyesque ». Martoune, ou Martounette pour les intimes. A l’école, tous les enfants étaient mélangés dans des classes uniques. On était parfois 42 enfants par classe, à Mas Thibert par exemple. Les maîtres donnaient des devoirs aux petits et après aux autres, et il n’y avait pas de bruit ! Hé pardi ! (tu sais c’était courant 40, 42 enfants par classe, ajoute Jeanne). Il n’y avait qu’une maîtresse pour trois divisions.



Marcelle : Je suis née à Arles le 6 mai 1924, dans la rue Baléchou vers les arènes. Je suis allée à l’école de la rue des Cloîtres. C’était une école de filles. On n’était pas mélangé. Avant tout était défendu. Il ne fallait pas parler aux garçons. C’était interdit (rires). Je me souviens bien de mes institutrices : Mme Auberger, Mme Gascuel, Mme Bonijole. Il y en avait une quatrième, mais elle, je ne m’en rappelle pas, parce que c’était un vrai chameau.



L’animateur, Fikri, a 40 ans, il est allé à l’école aux Saintes Maries de la Mer. Ensuite il est venu à Trinquetaille, à l’école élémentaire au bord du Rhône, puis au collège Morel, puis études secondaires… Le tout sans problèmes. Il se souvient plus des instituteurs de l’élémentaire que du secondaire.


Mireille prend la parole : j’ai connu une institutrice qui était gentille. J’adorais dessiner. J’étais une élève qui n’écoutait pas. C’était plus fort que moi, je n’écoutais pas, je galvaudais et je dessinais. La classe ne m’intéressait pas. Mes cahiers de récitation, de science, étaient toujours impeccables, bien tenus, mais toujours faux ! Alors elle me mettait une note parce que c’était bien présenté mais toujours faux. Et moi j’étais surprise car je croyais que c’était au pif qu’on faisait ça. Un jour elle me marque sur un dessin A Bien, et j’avais toujours Très Bien. J’avais trouvé ça injuste, alors j’avais marqué en dessous : « je m’en fous » (rires de l’assemblée). Mais un jour alors que l’on récitait une récitation, elle regarde les cahiers, elle tombe sur « je m’en fous ». Scandale ! Elle en parle à la directrice. D’abord j’ai eu une baffe, j’ai eu deux baffes, j’ai eu trois baffes par mon père ! Et après je suis devenue la bête noire. J’étais coincée à mort. J’aurais du être suivie psychologiquement, mais à l’époque ça ne se faisait pas. C’était à Trinquetaille. Je me souviens que la maitresse portait un joli bracelet avec des petites épingles dorées. On aurait dit de l’or. Je trouvais ça beau ! Elle avait accouché d’une petite fille qu’elle gardait dans la classe, dans son landau. Elle lui donnait le sein en mettant un mouchoir sur son sein. Il y avait une autre maitresse qui n’avait pas d’enfant, et j’avais du lui taper dans l’œil, car à moi qui n’avais pas de goûter, elle me descendait un petit panier de chez elle au moment du goûter.





Marthe
reprend : En parlant de gifle, à Méjanes, il y avait une institutrice, Melle Lestrade, un nom prédestiné. Comme je venais de l’école de Trinquetaille et que j’étais un peu plus évoluée disons, elle me disait : « Alors Marthe, raconte-nous ce que tu sais ». Et comme je ne savais pas et que je me buttais, pan une gifle et je me mets à saigner du nez. Je vais à ma mère qui faisait la cuisine dans le mas, et je lui dis : Maman, elle m’a foutu une gifle Melle Lestrade. Pan ! Ma mère m’en colle une autre ! En plus cette institutrice qui n’avait pas de famille, mangeait là et elle couchait là aussi, autant dire que l’on vivait avec elle.

Mireille
reprend : de 10 ans à 15 ans, j’ai été chez les Sœurs Saint Vincent de Paul à Beaucaire. Elle soupire. Alors là c’est pas la peine d’en parler. Elle pleure. En plus pour mes parents, comme j’étais d’une famille nombreuse, c’était une place gratuite. Donc j’étais en orphelinat (qui a brûlé depuis). Il y a une dizaine d’années, je me suis dit « je vais aller voir ». Quand on m’a dit que ça avait brûlé j’ai sauté de joie ! On portait une pèlerine bleu-marine, chaussures lassées, tête baissée à dire les prières. C’était le temps des diligences quand les capelans venaient…


Etiennette réagit : moi j’y suis allée en maternelle à Beaucaire. Je suis restée jusqu’à l’âge de six ans et après on a déménagé pour aller à Saint Rémy de Provence. Là je suis allée à l’école jusqu’au certificat d’études. Et puis je n’ai pas voulu continuer les écoles parce que le matin tôt il fallait prendre le petit train, le BDR, et que je n’étais pas matinales (rires). Je l’ai regretté par la suite parce que ma sœur, elle est allée au collège. Ca fait qu’à quatorze ans je suis allée travailler aux champs. Et l’hiver je travaillais à l’usine de graines que l’on mettait en sachets. Le petit train faisait Tarascon-Orgon. Après la ligne a été supprimée et on ne faisait plus que Tarascon-Saint Rémy. On avait des correspondances pour poursuivre.


Mireille reprend : moi je prenais le train qui partait du Sambuc et qui arrivait à Arles. Il chargeait les minots. C’était un train au charbon. A 6 heures il fallait prendre le train qu’il pleuve qu’il vente ou qu’il neige, et on était devant l’école de Trinquetaille la porte fermée. Il fallait attendre que ça ouvre, sans préau ni rien. Les banquettes du petit train étaient en bois et ça puait le cigare, le tabac. Ca sentait toutes les mauvaises choses de la vie. Mais le contrôleur me donnait un bonbon (sourire).Un jour le train a déraillé devant moi en passant l’aiguillage. La locomotive s’est couchée. La peur que j’ai eue ! J’ai cru qu’elle allait me rentrer dedans. C’était tout près de nous.

Marthe
: Nous on faisait cinq kilomètres à pied et c’est là que l’on passait sur les roubines glacées. Et une fois j’étais tombée dans l’eau. Et quand je l’ai dit à ma mère, on eu les petites charrettes.

Jeanne
: le petit train du Salin. Je me rappelle que je me suis cassé le bras. Il fallait que l’on se débrouille. Je me rappelle que l’on a pris le petit train électrique et on est venu à Arles. Il avait des machins en haut, comme les tramways. Le même train allait ensuite jusqu’à Nîmes. Un autre allait vers les Saintes. Le train de Camargue était électrique aussi. Je crois qu’on l’a supprimé dans les années 60. Quand il arrivait en gare, on criait « le Sambuc, les Charlot ». Qu’est ce que j’étais contente de prendre ce petit train pour venir à l’hôpital à Arles… Je devais avoir cinq ans. C’était en 1929. La vie à Arles après ne m’a plus intéressée. Mai pourquoi ? Parce que je n’avais plus ma liberté. Comme quand je suis allée à Port Saint Louis du Rhône. Je suis allée à l’école parce que l’on m’y a obligée, mais j’étais sauvage. Elevée sans personne autour. Il n’y avait que mes frères au Faraman. Franchement j’aurais la possibilité, j’aurais de l’argent, on me dirait que la maison du phare est à vendre, je repartirais là-bas, même à mon âge. Tu vois le soir quand je n’arrive pas à m’endormir ou quoi, je m’évade. Un cheval, un taureau, les lapins, un oiseau, voilà ce que j’aimais et ce que j’étais… Mes frères c’était pareil. En revanche ma sœur n’aimait pas cette vie. Mais moi alors, même maintenant l’après-midi, je me sens prisonnière, il me faut aller marcher, prendre l’air.


Marthe : et moi j’habite à l’ancienne gare de Camargue. Par contre où il y avait les bureaux de la gare de Camargue, c’est l’endroit où il y a maintenant « les volets bleus ».

Renée : je suis née le 14 mai 1934 à Saint Rémy de Provence. Je suis arrivée en 1943 à Arles. Il y avait déjà la guerre. Je suis allée à l’école rue Portagnel. J’étais une élève bavarde, bonne élève mais bavarde. A part ça j’ai eu une enfance heureuse. J’avais des parents qui se disputaient souvent, mais ça allait. Mon papa était au BDR. C’était lui qui était le mécanicien du fameux petit train. Nous sommes partis de Saint Rémy parce que Maman se languissait un peu. Nous sommes venus à Arles. Mon père a passé un examen. Il a réussi. Les bombardements ont commencé. La sirène sonnait et hop on allait vite se réfugier dans les arènes. Dans les souterrains. On y passait des nuits dedans. Nous habitions la rue d’Alembert, qui n’existe plus. Elle a été bombardée. Après ces bombardements on n’a plus eu de maison, alors mes parents nous ont menés à Maussane les Alpilles. Et là je suis allée à l’école de Maussane. Dans la classe il y avait le cours élémentaire, le cours moyen première et deuxième année, et une seule institutrice pour toute la classe. J’ai des souvenirs merveilleux. En plus j’étais avec mes grands-parents qui étaient adorables. Ils étaient agriculteurs.





Marthe : tu as du connaître mon grand-père qui était maire de Maussane ? Non c’était avant. On est vraiment des Provençaux ! Après je me suis mariée avec un Espagnol.

Mireille
: après guerre le filles elles n’allaient pas dans les arènes pour se protéger. J’ai entendu que sous les arènes il se passait des choses… (à suivre)…